Les textes que nous présentons ici, dans le but de donner un premier accès à la vie et à l'oeuvre de Gaston Bachelard et d'introduire à sa pensée, sont tirés d'un ouvrage publié en 1997 aux Editions Universitaires de Dijon et intitulé Un rationaliste romantique.
Nous tenons à remercier les auteurs et les éditeurs de cet ouvrage, ainsi que les responsables du Centre de Recherche Gaston Bachelard de l'Université de Bourgogne, de nous avoir permis de présenter quelques extraits de ce texte en guise de porte d'entrée dans la vie et l'oeuvre du philosophe.
Pour tous renseignements, reportez-vous en bas de page.
"Gaston Bachelard est né à Bar-sur-Aube le 27 juin 1884, ville dans laquelle ses parents tenaient un dépôt de journaux. Il entre, en 1903, dans l'administration des postes comme surnuméraire à Remiremont, dans les Vosges. Surnuméraire : celui qu'on n'attendait pas, et qu'il a bien fallu finalement mettre quelque part. Celui qui n'a pas tout à fait sa place. Ce pourrait être une définition pour le philosophe.
En 1907, toujours employé des postes, il sera nommé au bureau parisien de la Gare de l'Est, ce qui lui permettra d'entreprendre des études en vue de la préparation d'un concours d'ingénieur des postes auquel il échouera, en 1912. Il passe tout de même avec succès une licence de mathématiques. De 1914 à 1919 :mariage (8 juillet 1914), guerre 1914-1918 (mobilisé le 2 août 1914 dans le régiment du 12ème dragon de Pont-à-Mousson, démobilisé le 16 mars 1919), naissance de sa fille Suzanne (18 octobre 1919 à Voigny)/ mort de sa femme Jeanne (1920). À la même époque : début de son activité de professeur de physique et de chimie au collège de Bar-sur-Aube (année 1919-1920), début de ses études de philosophie (licence en 1920/ agrégation en 1922). En 1927, il soutient sa thèse de philosophie, qui sera couronnée l'année suivante par l'Académie des sciences, et donnera lieu à la publication de L'Essai sur la connaissance approchée. En 1930, il est nommé professeur de philosophie des sciences à la faculté de Dijon.
De 1932 à 1938 s'écouleront six années qui seront en particulier marquées, dans la production du philosophe, par la publication de L'intuition de l'instant (1932) et de La dialectique de la durée (1936). Il s'agit là des deux seuls livres ouvertement métaphysiques de Gaston Bachelard. Ils se présentent comme des attaques contre Bergson, ou plus exactement contre la notion de continuité chez Bergson : « du Bergsonisme nous acceptons presque tout sauf la continuité »*1. Rouerie magistrale, car mettre de côté/ dans l'oeuvre de Bergson, la con- tinuité (qui s'exprime en particulier dans le concept de durée), c'est la mettre à l'écart dans son ensemble."
[...]
Succès des successions
"1955 : 18 avril, Albert Einstein meurt à Princeton à l'âge de 76 ans. Maurice Blanchot publie L'espace littéraire. La philosophie pari- sienne est désormais majoritairement existen- tialiste et engagée. Raymond Aron en dénonce les effets délétères dans L'opium des intellectuels. Claude Lévi-Strauss publie Tristes tropiques et Raymond Queneau les notes de cours de Kojève sur Hegel. Le 19 janvier, Gaston Bachelard vient de donner son dernier cours à la Sorbonne. Jean Lescure était dans la salle. Il a retranscrit quelques notes : « Je ne m'en vais pas de cette Sorbonne le cœur guilleret. Je me suis donné à l'enseignement »18.
Georges Canguilhem qui lui succédera à la Sorbonne comme à l'Institut d'Histoire des Sciences et des Techniques a publié la même année l'un de ses plus grands livres La formation du concept de réflexe aux XVIIe et XVIIIe siècles qu'il a dédié à Bachelard. En 1963, peu après la mort de Bachelard (survenue le 16 octobre 1962), Georges Canguilhem écrira : « En renouvelant aussi profondément le sens de l'histoire des sciences, en l'arrachant à sa situation jusqu'alors subalterne, en la promou- vant au rang d'une discipline philosophique de premier rang, Gaston Bachelard a fait plus que frayer une voie, il a fixé une tâche »19.
En 1977, il semble que la tâche ait fait davantage que d'être simplement
reprise, elle a aussi été transmise et transformée. Canguilhem écrit: «l'introduction,
à partir de 1967-1968 dans mon enseignement ou dans quelques articles et
conférences, du concept d'idéologie scientifique, sous l'influence des travaux
de Michel Foucault et de Louis Althusser, n'était pas seulement une marque
d'acquiescement accordée à ces contributions originales en déontologie de
l'histoire des sciences. C'était une façon de rafraîchir, sans la rejeter,
la leçon d'un maître dont j'avais lu les livres, faute d'avoir pu suivre
les cours, la leçon de Gaston Bachelard dont, quelques libertés qu'ils aient
prises avec elle, mes jeunes collègues s'étaient en fait inspirés et fortifiés
»20.
Fortifiés en particulier, peut-être, par une certaine manière de se décrocher des questions rebattues, des questions « à la mode », dont Bachelard avait pu leur montrer ce qu'elle avait de plus positif et qu'il avait pratiquée lui- même, au risque d'apparaître parfois, parmi les philosophes, comme le surnuméraire, celui qui n'est pas du nombre. "
18. J. Lescure, op. cit., p. 208.
19. G. Canguilhem, « L'histoire des sciences dans l'œuvre épistémologique de Gaston Bachelard » in Annales de l'Uni- versité de Paris, Paris, 1963, p. 24-39.
20. G. Canguilhem, Idéologie et rationalité dans l'histoire des sciences de la vie, Vrin, Paris, 1977, p. 9.
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