Maîtrise de la pensée et relation humaines

par Eric EMERY-HELLWIG


La psychologie exponentielle


Le thème originel de ma conférence se trouve dans l'un des ouvrages du physicien et philosophe des sciences Gaston Bachelard " La Dialectique de la durée ".

Bachelard propose à ses lecteurs de faire les trois expériences suivantes :

1) Dites-vous à vous-même : "je pense ", et cherchez à déterminer au niveau du vécu ce que cela signifie; ce premier exercice est très facile.

2) Un peu plus difficile : dites-vous à vous-même : " je pense que je pense " = (je pense)2, et cherchez à déterminer au niveau du vécu ce que cela signifie. En quelques secondes cela est fait : " je pense à moi en tant que je suis en train de penser ".

3) Même exercice, mais pour (je pense)3. Pour le réaliser au fond de soi-même, il faut se mettre en état de réceptivité et prendre quinze à vingt secondes.

Je n'insiste pas, sinon pour noter que Bachelard propose là des exercices de psychologie dite exponentielle. L'homme est apte à penser au premier, au deuxième et au troisième degré.

Illustrons ce fait par l'histoire des trois prisonniers condamnés à mort et auxquels on offre une possibilité de grâce. Le geôlier va les trouver avec deux disques noirs et trois blancs ; il met dans le dos de chaque prisonnier un disque blanc. Les prisonniers voient les disques de leurs deux camarades, mais non le leur. Le premier prisonnier qui dira, à juste titre, la couleur de son disque sera gracié. Désignons les prisonniers par les lettres A, B, C. Après une vingtaine de secondes, le prisonnier C dit : " J'ai dans le dos un disque blanc " ; il reçoit la grâce. Quel raisonnement a-t-il fait ? Notons que A pense au premier degré, B au deuxième et C au troisième. C raisonne ainsi : " Si j'avais un disque noir dans le dos, B dirait après un bref instant d'attente : " J'ai un disque blanc dans le dos " en faisant valoir que s'il avait un noir et C aussi, A aurait la certitude d'avoir un blanc dans le dos et le dirait. C poursuit : " puisque ni B, ni A ne prennent la parole, c'est donc que j'ai un disque blanc dans le dos ".

Cette histoire appelle une petite remarque : elle n'est pas facile à comprendre, car elle s'ancre sur la psychologie exponentielle et une certaine habitude de s'en servir ; mais comme dans mon exposé les autres exemples que je prendrai sont d'un accès beaucoup plus aisé, mes interlocuteurs n'ont pas à se décourager.

Ainsi, racontons la conversation prêtée à Jean-Paul Sartre et Gaston Bachelard. Sartre : " J'ai une bonne et brève plaisanterie à vous raconter ; c'est le dialogue entre le masochiste et le sadique. Le masochiste dit : "Fais-moi mal " et le sadique répond : " Non ! " Bachelard d'ajouter : " II manque quelque chose à ce dialogue. Le masochiste enchaîne : "Merci !" ". Les trois degrés de compréhension sont impliqués dans cet échange de phrases.

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