Le thème originel de ma conférence se trouve dans l'un des ouvrages du
physicien et philosophe des sciences Gaston Bachelard " La Dialectique de
la durée ".
Bachelard propose à ses lecteurs de faire les trois expériences suivantes
:
1) Dites-vous à vous-même : "je pense ", et cherchez à déterminer au niveau
du vécu ce que cela signifie; ce premier exercice est très facile.
2) Un peu plus difficile : dites-vous à vous-même : " je pense que je pense
" = (je pense)2, et cherchez à déterminer au niveau du vécu ce que cela
signifie. En quelques secondes cela est fait : " je pense à moi en tant
que je suis en train de penser ".
3) Même exercice, mais pour (je pense)3. Pour le réaliser au fond de soi-même,
il faut se mettre en état de réceptivité et prendre quinze à vingt secondes.
Je n'insiste pas, sinon pour noter que Bachelard propose là des exercices
de psychologie dite exponentielle. L'homme est apte à penser au premier,
au deuxième et au troisième degré.
Illustrons ce fait par l'histoire des trois prisonniers condamnés à mort
et auxquels on offre une possibilité de grâce. Le geôlier va les trouver
avec deux disques noirs et trois blancs ; il met dans le dos de chaque prisonnier
un disque blanc. Les prisonniers voient les disques de leurs deux camarades,
mais non le leur. Le premier prisonnier qui dira, à juste titre, la couleur
de son disque sera gracié. Désignons les prisonniers par les lettres A,
B, C. Après une vingtaine de secondes, le prisonnier C dit : " J'ai dans
le dos un disque blanc " ; il reçoit la grâce. Quel raisonnement a-t-il
fait ? Notons que A pense au premier degré, B au deuxième et C au troisième.
C raisonne ainsi : " Si j'avais un disque noir dans le dos, B dirait après
un bref instant d'attente : " J'ai un disque blanc dans le dos " en faisant
valoir que s'il avait un noir et C aussi, A aurait la certitude d'avoir
un blanc dans le dos et le dirait. C poursuit : " puisque ni B, ni A ne
prennent la parole, c'est donc que j'ai un disque blanc dans le dos ".
Cette histoire appelle une petite remarque : elle n'est pas facile à comprendre,
car elle s'ancre sur la psychologie exponentielle et une certaine habitude
de s'en servir ; mais comme dans mon exposé les autres exemples que je prendrai
sont d'un accès beaucoup plus aisé, mes interlocuteurs n'ont pas à se décourager.
Ainsi, racontons la conversation prêtée à Jean-Paul Sartre et Gaston Bachelard.
Sartre : " J'ai une bonne et brève plaisanterie à vous raconter ; c'est
le dialogue entre le masochiste et le sadique. Le masochiste dit : "Fais-moi
mal " et le sadique répond : " Non ! " Bachelard d'ajouter : " II manque
quelque chose à ce dialogue. Le masochiste enchaîne : "Merci !" ". Les trois
degrés de compréhension sont impliqués dans cet échange de phrases.
[...]