Avant-propos

par Jean LIBIS



Mis en chantier en 1999, le Bulletin de l'Association des Amis de Gaston Bachelard propose en cette année 2005 son septième numéro. Nous sommes de plus en plus enclins à élargir notre palette de publication. Si la priorité reste évidemment accordée aux articles et études écrits par des bachelardiens avertis, nous souhaitons faire aussi une place à des témoignages, des documents ainsi qu'à des ouvertures littéraires et poétiques. En règle générale, ce sont les adhérents de l'Association qui se trouvent ici, légitimement, mis à contribution.

La première étude contenue dans cet ensemble est tout simplement essentielle. Je pèse et revendique mes mots. A une époque où se répand étrangement la volonté de fonder à tout prix l'unité de l'œuvre bachelardienne, Florence NICOLAS répond avec vigueur que cette unité est introuvable. Appuyé très précisément sur tes textes, rigoureusement argumenté, écrit de façon limpide, son article me semble déterminant sur une question qui finit par égarer les esprits. Il nous rappelle que la pensée de Bachelard est foncièrement évolutive, duelle, et qu'elle ne contient pas de synthèse possible entre l'image et le concept.

Cerise sur le gâteau ! Fabio FERREIRA a débusqué à la Bibliothèque de Rio de Janeiro le fragment d'un entretien d'un universitaire américain avec Bachelard lui-même qui corrobore remarquablement ce point de vue. La déclaration finale du philosophe vaut le détour.

Autre étude de choix : celle de Christian THIBOUTOT. Celui-ci se livre à un commentaire appuyé, parfois dense, d'un texte de Bachelard qui demeure trop peu connu. II s'agit de l'extraordinaire "Fragment du journal de l'homme", inclus dans Le droit de rêver, qui nous ouvre des aperçus vertigineux sur la dimension parfois solitaire et même dramatique d'une œuvre qu'on a trop souvent aseptisée. La lecture de Christian Thiboutot pourrait accompagner celle du fameux Fragment, dont elle constitue une glose serrée.

La philosophie et l'histoire des sciences sont représentées par deux études substantielles. 1° Frédéric FRUTEAU DE LACLOS a relevé le défi de présenter l'ouvrage introuvable - et difficile - de Bachelard intitulé La valeur inductive de la Relativité. Frédéric Fruteau nous offre une étude magistrale, érudite et précise. Son enjeu me paraît triple : présenter au lecteur la querelle idéologique gravitant autour de la théorie einsteinienne de la Relativité dans les années 1920-1930 ; situer les premiers travaux scientifiques de Bachelard par rapport à ceux de Brunschvicg, Bergson, Meyerson ; éclairer l'hésitation et l'évolution du philosophe sur la question cruciale de l'idéalisme épistémologique. Le résultat est passionnant. 2° Francesca BONICALZI, dans la présentation écrite du Colloque de Cosenza (2003), se livre à une minutieuse analyse de la notion de "recommencement", telle qu'elle est théorétisée par Bachelard lui-même sur un triple registre : recommencer, renouveler, réorganiser. Madame Bonicalzi cerne ici l'essence du rationalisme bachelardien, dans son inlassable travail de prospection, de remise en question, et d'élargissement. La version originale en italien a ici été traduite grâce aux soins attentifs de Julien LAMY.

Le dossier qui suit a été réuni et présenté par Jean-Luc POULIQUEN. Il évoque la mémoire du poète méditerranéen Pierre CAMINADE, dont nous republions un article consacré à Bachelard en 1963 (dans son livre Image et métaphore, Bordas, 1970, Pierre Caminade a aussi écrit un éclairant chapitre sur Bachelard : pour des raisons de droit, nous n'avons pu le reproduire ici). Ensuite, Teresa CASTELAÔ présente en langue française un livre de Mary Ann CAWS, sur Bachelard et Breton : pour intéressant que soit ce rapprochement, il n'en est pas moins sujet à caution, et nous avons signalé en note certains points vis-à-vis desquels nous estimons ne pas pouvoir épouser le point de vue de Mrs Caws. Puis Saïd BOUKHLET a présenté lui-même la thèse qu'il a soutenue à Marrakech (Maroc) en 2004. Elle s'intitule : Le discours critique et littéraire de Gaston Bachelard et la poétique des éléments.

Enfin nous avons réuni quelques rêveries et souvenirs autour du thème de ce que notre philosophe nomme " la maison onirique ". Jean-François BAZIN, fin connaisseur de la ville de Dijon, évoque entre autres choses l'incroyable démolition de la maison que Bachelard a habitée avec sa fille Suzanne, quai Gaillot à Dijon. Ipso facto, et grâce à l'amabilité de Madame Marcel SCHAETTEL, nous avons la consolation de publier ici des photographies de cette maison qui nous comblent par l'évocation d'une présence virtuelle et totalement mystérieuse. Richard SAGE souligne, dans une méditation concise et belle, le sens particulier du verbe " habiter " sous le signe de la lecture bachelardienne, dans le contexte du très rude hiver canadien. In fine Françoise ASCAIN laisse flotter ses propres souvenirs autour d'une maison, celle du sculpteur Etienne Martin, qui a représenté pour elle une sorte de référence initiale, étrange, et labyrinthique.

Dans une Tribune libre, que nous n'avons pas souhaité publier en entier, Yves GAGNERE met le doigt sur certains aspects des silences bachelardiens. Il est vrai que l'œuvre du philosophe comporte de significatives zones de non-dit. On ne peut toutefois pas s'autoriser à les réécrire à sa place !

En tout état de cause, c'est bien parce que la pensée de Bachelard semble souvent librement inachevée qu'elle est si fascinante et qu'elle échappe aux scléroses dogmatiques. Cette pensée est fécondante parce qu'elle ne détermine ni un système, ni une école, ni même des disciples. A ma connaissance, elle constitue comme telle un cas d'espèce : on y peut cheminer indéfiniment dans une sorte d'étonnement renouvelé. À l'heure des slogans et des simplifications véhiculés par les techniques de la " communication ", elle constitue une formidable école de lecture et de liberté.


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