"Comme beaucoup de problèmes psychologiques, les recherches sur l'imagination sont troublées par la fausse lumière de l'étymologie. On veut toujours que l'imagination soit la faculté de former des images. Or elle est plutôt la faculté de déformer les images fournies par la perception, elle est surtout la faculté de nous libérer des images premières, de changer les images. S'il n'y a pas changement d'images, union inattendue des images, il n'y a pas imagination, il n'y a pas d'action imaginante. Si une image présente ne fait pas penser à une image absente, si une image occasionnelle ne détermine pas une prodigalité d'images aberrantes, une explosion d'images, il n'y a pas imagination. Il y a perception, souvenir d'une perception, mémoire familière, habitude des couleurs et des formes. Le vocable fondamental qui correspond à l'imagination, ce n'est pas image, c'est imaginaire. La valeur d'une image se mesure à l'étendue de son auréole imaginaire. Grâce à l'imaginaire, l'imagination est essentiellement ouverte, évasive. Elle est dans le psychisme humain l'expérience même de l'ouverture, l'expérience même de la nouveauté. Plus que toute autre puissance, elle spécifie le psychisme humain. Comme le proclame Blake : " L'imagination n'est pas un état, c'est l'existence humaine elle-même1. " On se convaincra plus facilement de la vérité de cette maxime si l'on étudie, comme nous le ferons systématiquement dans cet ouvrage, l'imagination littéraire, l'imagination parlée, celle qui, tenant au langage, forme le tissu temporel de la spiritualité, et qui par conséquent se dégage de la réalité."

1- William Blake, Second Livre prophétique, tard. Berger, p. 143.


[Gaston BACHELARD, L'air et les songes : essai sur l'imagination du mouvement, Introduction, Paris : Librairie José Corti, 1943, pp. 5 et 6]

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