" Avant de donner le plan d'ensemble de notre étude nous voudrions nous expliquer sur son titre, car cette explication doit éclairer notre but.
Bien que le présent ouvrage soit un nouvel exemple, après La Psychanalyse du Feu, de la loi des quatre éléments poétiques, nous n'avons pas retenu pour titre La Psychanalyse de l'Eau qui aurait pu faire pendant à notre ancien essai. Nous avons choisi un titre plus vague : L'Eau et les Rêves. C'est là une obligation de la sincérité. Pour parler de psychanalyse, il faut avoir classé les images originelles sans laisser à aucune d'elles la trace de ses premiers privilèges; il faut avoir désigné, puis désuni, des complexes qui ont longtemps noué des désirs et des rêves. Nous avons le sentiment de l'avoir fait dans notre Psychanalyse du Feu. On a pu s'étonner qu'un philosophe rationaliste donne une si longue attention à des illusions et à des erreurs, et qu'il ait sans cesse besoin de représenter les valeurs rationnelles et les images claires comme des rectifications de données fausses. En fait, nous ne voyons aucune solidité à une rationalité naturelle, immédiate, élémentaire. On ne s'installe pas d'un seul coup dans la connaissance rationnelle; on ne donne pas du premier coup la juste perspective des images fondamentales. Rationaliste? Nous essayons de le devenir, non seulement dans l'ensemble de notre culturel mais dans le détail de nos pensées, dans l'ordre détaillé de nos images fami- lières. Et c'est ainsi que par une psychanalyse de la connaissance objective et de la connaissance imagée nous sommes devenu rationaliste à l'égard du feu. La sincérité nous oblige à confesser que nous n'avons pas réussi le même redressement à l'égard de l'eau. Les images de l'eau, nous les vivons encore, nous les vivons synthétique- ment dans leur complexité première en leur donnant souvent notre adhésion irraisonnée."
[Gaston BACHELARD, L'eau et les rêves : essai sur l'imagination de la matière, Introdution, Paris : Librairie José Corti, 1942, pp. 13-14]