À la mémoire de Robert Damien
Robert Damien, né en 1949, est décédé à Paris le 26 octobre 2017. Longtemps professeur de philosophie à l'Université de Besançon, il est devenu Professeur au département de philosophie de l'Université Ouest Nanterre à partir de 2006. Il était membre du laboratoire de recherches SOPHIAPOL, directeur honoraire de l'EA 139 et membre du bureau du Labex Passés Présents de l'Université Université Paris Nanterre.
Ami de François Dagognet, grand bachelardien aussi, dont il a lu et commenté l'œuvre, il avait développé, depuis sa thèse doctorale, une œuvre originale portant principalement sur le pouvoir, à travers les figures du conseiller du prince et des bibliothèques publiques, et plus largement des activités de conseil et d'expertise. On peut en saisir aisément toute l’importance et les résonances pour notre temps présent, résolument marqué par la figure de l’expert. Très attaché aux institutions et à l'esprit public, ce qui peut sembler fort rare aujourd’hui, y compris dans la vie universitaire, il mettait en relation l'histoire politique et la philosophie morale et politique, sur fond de convictions socialistes inspirées de Proudhon. Engagé également dans la vie universitaire concrète, il n'a pas ménagé sa peine en mettant ses compétences au service de différentes institutions académiques. Plus récemment, il s'était particulièrement intéressé au problème de l'autorité, ses formes, sa crise (Eloge de l'autorité, Généalogie d'une (dé)raison politique, Armand Colin, Paris, 2013).
Depuis longtemps attaché à l'œuvre de Gaston Bachelard, il en avait surtout exploré et commenté la portée sociale et politique, dont on ne soupçonne généralement pas l’existence, ni même la fécondité, en raison de certaines manières habituelles, souvent trop convenues, d’aborder l’œuvre bachelardienne. Robert Damien avait su, parmi les premiers, reconnaître cette dimension silencieuse, mais non moins vivante, présente en creux, des réflexions de Bachelard sur la science, la poésie et la culture. Un colloque sur la notion de confiance a donné lieu à une publication collective importante intitulée Confiance raisonnée et défiance rationnelle, autour de Gaston Bachelard, avec Benoît Hufschmitt, PUFC/Belles Lettres, Besançon, Juin 2006 Il était membre actif de notre association, et a participé à plusieurs Cahiers Gaston Bachelard (« Bachelard, et l'induction psychique de la lecture », numéro spécial des Cahiers Gaston Bachelard, « Bachelard et l'écriture », Dijon, 2004, pp. 274-281). Il était souvent présent aux colloques à Dijon avec François Dagognet, et membre de jurys de soutenance de thèse bachelardienne (dont celle de Julien Lamy). Il a surtout défendu la philosophie politique bachelardienne, trop méconnue, qui émaillait nombre de ses pages sur les relations humaines, l'environnement social de l'éducation et l'usage de la rationalité. Il a particulièrement mis en valeur (et ce encore récemment lors d'une séance de l’Atelier Bachelard à Paris) le rôle de l'autorité, conjuguée démocratiquement, et l'importance chez Bachelard d'une citoyenneté républicaine, dont témoignent l'homme et l'œuvre du « philosophe champenois ».
Homme carré et franc (il était féru de rugby), passionné de raison, adepte du dialogue vivant entre les esprits, il émanait de lui une force de caractère alliée à une simplicité authentique, une amitié spontanée au service de convictions claires et fortes. Les bachelardiens lui doivent d'avoir mis au grand jour une face souvent ignorée du philosophe baralbin, celle d'un rationalisme républicain, une leçon bien française pour les temps présents.
G. HIERONIMUS, J. LAMY et J.-J. WUNENBURGER