Appel à contributions / Call for Abstracts
Bachelardismes et anti-bachelardismes en France : controverses épistémologiques des années soixante.
(16 et 17 avril 2019, Institut d’études avancées, Paris)
Un colloque organisé par l’USR République des savoirs avec le soutien du labex TransferS et de l’Institut d’études avancées.
On a souvent souligné l’importance de l’épistémologie bachelardienne dans les années 1960, en particulier via la diffusion qu’en a assurée Georges Canguilhem. De telles généralités masquent cependant et la pluralité des héritages bachelardiens et les résistances que les thèses épistémologiques de Bachelard ont d’emblée suscitées. C’est pourquoi ce colloque se propose d’étudier l’incidence de ces thèses, non pas en partant d’une référence à une hypothétique « épistémologie française », mais en s’attachant à distinguer les différents lieux où elles ont provoqué polémiques et controverses :
Faire de l’histoire des sciences
Le programme formulé par Bachelard dans « L’Actualité de l’histoire des sciences » semble avoir marqué durablement l’histoire des sciences à la française : celle-ci se caractériserait par ses liens étroits avec une philosophie rationaliste, qui refuserait toute forme d’histoire des sciences qui ne serait pas écrite par des philosophes. Mais le projet bachelardien d’une histoire normative et rétrospective des progrès de la raison a-t-il jamais été appliqué ? D’un point de vue théorique, on pourra travailler ici les inflexions majeures que lui ont imprimées Canguilhem ou Foucault, ou encore s’attacher à montrer que le règne de l’historiographie bachelardienne n’a jamais été sans partage, en prenant comme exemple de discours dissident le texte de Michel Serres, « La réforme et les sept péchés ».
Interroger le marxisme
Le recours que fit Althusser à la notion de « coupure épistémologique » pour caractériser l’avènement conjoint du matérialisme historique et du matérialisme dialectique a placé la thèse bachelardienne de la rupture entre sens commun et science au cœur du marxisme français. Mais quels étaient les enjeux théoriques des lectures marxistes de Bachelard ? On pourra dans ce contexte étudier ces débats dans leurs formes les plus spécifiques — la controverse de Dominique Lecourt et Michel Vadée dans l’exégèse matérialiste de Bachelard, ou les efforts répétés d’Althusser pour sortir de sa « dérive théoriciste » — comme dans leurs enjeux les plus généraux — la question des rapports entre science et émancipation, que posèrent frontalement Jacques Rancière ou le Foucault d’Il faut défendre la société.
Interroger le statut des sciences humaines et sociales
Pensée formelle et sciences de l’homme et Le Métier de sociologue sont, entre autre choses, deux tentatives pour étendre l’épistémologie bachelardienne aux sciences humaines et sociales, quand bien même une rupture épistémologique y serait particulièrement difficile. Mais est-il possible ou souhaitable de rompre totalement avec la sociologie spontanée ? On pourra ici revenir sur les réserves que Le Savant et le Populaire ou Les Méditations pascaliennes ont finalement exprimées par rapport au mot d’ordre de la rupture, ou sur les objections que Jean-Claude Passeron a adressées à Gilles-Gaston Granger. Ces débats sur l’importation du bachelardisme dans les sciences humaines et sociales pourront ainsi être rapportés au projet d’une épistémologie comparative, ou considérés comme une ramification des controverses sur la Wertfreiheit.
Les controverses ici évoquées ne sont que des exemples parmi d’autres. L’essentiel sera, dans ce colloque, de prendre au sérieux l’idée une raison polémique, en étudiant les controverses que la première réception des thèses de Bachelard a suscitées.
Comité d’organisation : Sophie Roux, Frédéric Worms, Lucie Fabry
Candidature : Envoyer d’ici le 1e novembre un résumé (300 mots) de votre communication à sophie.roux[at]ens.fr, frederic.worms[at]ens.fr et lucie.fabry[at]ens.fr.
Bachelardisms and Anti-Bachelardisms in France: Epistemological Controversies of the 1960s
16 and 17 April 2019, Paris Institute for Advanced Studies
A conference organised by the USR République des Savoirs with the support of Labex TransferS and Paris Institute for Advanced Studies.
The significance of Gaston Bachelard’s epistemology in the 1960s, and, in particular, the role of Georges Canguilhem in the diffusion of his work, has often been acknowledged. However, such generalities may hide the plurality of Bachelardian legacies, as much as the objections that his epistemological theses have raised from the beginning. Restraining from any reference to a hypothetical “French epistemology”, this conference offers to study the impact of Bachelard’s theses by distinguishing different domains where they aroused polemics and controversies.
Writing the history of science
The program that Bachelard held in his 1951 conference « L’actualité de l’histoire des sciences » seems to have had a long lasting impact on the French way of writing the history of science: that French historiography would be characterized by its close relation with rationalist philosophy and the rejection of an history of science that would not be written by philosophers. One may ask, however, if Bachelard’s program of a normative and retrospective history of the progress of reason has ever found any proponent. In that perspective, one may investigate the major modifications that Canguilhem and Foucault made to that program, or reveal that the supremacy of Bachelardian historiography was never unchallenged, taking Michel Serre’s “La réforme et les sept péchés” as an example of dissident discourse.
Debates on French Marxism
Althusser's use of the notion of coupure épistémologique to designate the joint advent of historical and dialectical materialism put Bachelard’s theses at the chore of the debates of French Marxism. To investigate why Bachelard was such a controversial figure in French Marxism, one may comment on the controversy between Dominique Lecourt and Michel Vadée on Bachelard’s work; Althusser’s repeated efforts to get rid of his “theoricist tendency”; or Rancière or Foucault’s objections to Althusser, which aimed at redefining the relation between knowledge and emancipation.
Questioning Social sciences
Formal Thought and the Sciences of Man and The Craft of Sociology constitute, among other things, two attempts to extend Bachelard’s epistemology to social sciences, even though the epistemological break with common knowledge may be harder to achieve in those disciplines. However, to what extent is it possible and desirable to break with spontaneous sociology? One may consider, from that perspective, the provisos that Le Savant et le Populaire or Pascalian Meditations added to the rupture requirement in sociology, or Jean-Claude Passeron’s dialogue with Gilles-Gaston Granger on the specific scientificity of the social sciences. These debates on the application of Bachelardism to social sciences may, hence, fall under the scope of a comparative epistemology, or be regarded as a part of the Wertfreiheit controversies.
Controversies listed here are but examples among others. The main scope of the conference will be to take Bachelard’s notion of polemical reason seriously, by studying the controversies that were triggered by the first reception of his theses.
Organising committee: Sophie Roux, Frédéric Worms, Lucie Fabry
Interested participants should send a 300-word proposal to sophie.roux[at]ens.fr, frederic.worms[at]ens.fr and lucie.fabry[at]ens.fr by November 1st.
Références
Faire de l’histoire des sciences (Writing the history of science)
Bachelard Gaston, « L’Actualité de l’histoire des sciences », dans L’engagement rationaliste, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Bibliothèque de philosophie contemporaine », 1972, p. 137-152.
Bowker Geof et Bruno Latour, « A Booming Discipline Short of Discipline: (Social) Studies of Science in France », Social Studies of Science, vol. 17, no 4, 1987, p. 715-748.
Canguilhem Georges, « Le rôle de l’épistémologie dans l’historiographie scientifique contemporaine », dans Idéologie et rationalité dans l’histoire des sciences de la vie : nouvelles études d’histoire et de philosophie des sciences, Paris, J. Vrin, 2009, p. 11-36. English translation: Ideology and rationality in the history of the Life sciences, translated by Arthur Goldhammer, Cambridge, Mass, MIT Press, 1988.
Foucault Michel, L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard, coll. « Tel », no 354, 2008. English translation: Archaeology of knowledge, translated by Alan Sheridan, London, Routledge, coll. « Routledge classics », 2002.
Pestre Dominique, « Science des philosophes, science des historiens », Le Débat, no 102, 1998, p. 99-106.
Serres Michel, « La réforme et les sept péchés », dans Catherine Clément et Bernard Pingaud (éd.), Bachelard, Aix-en-Provence, L’Arc, 1970.
Interroger le marxisme (Debates on French Marxism)
Althusser Louis, Pour Marx, Paris, La Découverte, coll. « La Découverte/Poche », no 16, 1996. English translation: For Marx, translated by Ben Brewster, New ed., London, Verso, 2010.
Althusser Louis, Balibar Étienne, Establet Roger, Macherey Pierre et Rancière Jacques, Lire le « Capital », Paris, Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », n˚ 186, 1996. English translation: Reading Capital, translated by Ben Brewster, London, Verso, 1997.
Foucault Michel, « Il faut défendre la société ». Cours au Collège de France. 1976, Paris, EHESS, Gallimard, Seuil, 1997. English translation: Society must be defended: lectures at the Collège de France, 1975-76, translated by David Macey, London, The Penguin Press, 2003.
Lecourt Dominique, Bachelard ou Le jour et la nuit : un essai du matérialisme dialectique, Paris, B. Grasset, coll. « Théoriciens », no 2, 1974.
Vadée Michel, Gaston Bachelard ou le nouvel idéalisme épistémologique, Paris, France, Éditions sociales, 1975.
Rancière Jacques, La Leçon d’Althusser, Paris, Gallimard, coll. « Collection Idées », no 294, 1974. English translation: Althusser’s lesson, translated by Emiliano Battista, London, Continuum, 2011.
Interroger le statut des sciences humaines et sociales (Questioning Social sciences)
Bourdieu Pierre, Jean-Claude Chamboredon et Jean-Claude Passeron, Le métier de sociologue : préalables épistémologiques, 5e édition, Paris, Mouton de Gruyter, École des hautes études en sciences sociales, 2005. English translation: The craft of sociology: epistemological preliminaries, translated by Richard Nice, Berlin, Walter de Gruyter, 1991.
Bourdieu Pierre, Méditations pascaliennes, Paris, France, Points, 2003. English translation: Pascalian meditations, translated by Richard Nice, Stanford, California, Stanford University Press, 2000.
Granger Gilles-Gaston, Pensée formelle et sciences de l’homme, Paris, Aubier-Montaigne, coll. « Analyse et raisons », no 2, 1967. English translation: Formal thought and the sciences of man, translated by Alexander Rosenberg, Dordrecht, D. Reidel Publishing Company, 1983.
Grignon Claude et Jean-Claude Passeron, Le savant et le populaire : misérabilisme et populisme en sociologie et en littérature, Paris, Éditions Points, coll. « Points », no 770, 2015.
Lahire Bernard (dir.), À quoi sert la sociologie ?, Paris, La Découverte, 2012.
Passeron Jean-Claude, Le raisonnement sociologique : un espace non poppérien de l’argumentation, nouvelle éd. revue et augmentée, Paris, A. Michel, 2006. English translation: Sociological reasoning: a non-Popperian space of argumentation, translated by Rachel Gomme, Oxford, The Bardwell Press, 2013.