Hommage à Jean Gayon
Jean Gayon, professeur émérite de philosophie à Paris 1, vient de nous quitter le 28 avril 2018, à 68 ans, après une longue et douloureuse maladie. Il venait il y a quelque mois de confier un dernier texte bachelardien aux "Cahiers Gaston Bachelard" pour leur hommage à Maryvonne Perrot. Spécialiste d'histoire et de philosophie des sciences biologiques et en particulier de l'épistémologie du néo-darwinisme contemporain, il avait enseigné à Dijon (1985-1997) puis à Paris 7 et surtout à Paris I, où il fut durant longtemps directeur de l'institut IHPST-CNRS, dont il venait de quitter la direction lors de son passage récent à la retraite. La maladie ne lui guère laissé le temps d'en profiter.
Déjà successeur de Gaston Bachelard à l'université de Dijon (où il a enseigné entre 1930 et 1940), Jean Gayon a été membre actif du "Centre Gaston Bachelard de recherches sur l'imaginaire et la rationalité", et a en fin de carrière dirigé à Paris le même Institut IHPST que Gaston Bachelard. Ce dernier illustrait à ses yeux l'épistémologie française qu'il a toujours défendue avec force en dépit de sa familiarité avec l'épistémologie anglo-saxonne, comme le prouvent ses liens étroits avec les épistémologues américains.
A Dijon puis à Paris il a fait preuve d'une ouverture de pensée et d'un goût pour l'international qui lui ont permis de recevoir à Dijon, entre autres, des collègues et amis étrangers comme Martinez-Contreras du Mexique, Michael Ruse du Canada, G. Barsanti d'Italie, etc.. Dans le sillage de GeorgesCanguilhem et François Dagognet, ses maitres et amis, il a co-organisé à Dijon plusieurs grands colloques pluridisciplinaires et internationaux, en particulier celui sur Les figures de la forme, (paru en 1992 avec une préface d'Etienne Wolff), et celui sur Le paradigme de la filiation(paru en 1995 avec une préface de Pierre Legendre), qui ont permis d'accueillir des collègues et amis comme René Thom, Jean Petitot, Isabelle Stengers, Paul Mengal, Claudine Cohen, Hervé Le Guyader, Michel Delsol, etc.
Si l'œuvre de Bachelard lui était depuis longtemps proche sous l'angle dominant de la rationalité scientifique, Jean Gayon a découvert et intégré aussi par la suite l'angle poétique et symbolique, dont il appréciait l'esthétique (Jean Gayon était aussi musicien). C'est ce qui a permis d'organiser (et de publier aux PUF en 2000) avec J.J. Wunenburger un grand colloque international destiné à faire le premier état des lieux de la réception de Gaston Bachelard dans le mondeen fin du XXème siècle. Il avait aussi plaidé brillamment pour la spécificité d'une épistémologie française, à laquelle Bachelard a conféré ses lettres de noblesse, en participant en 2003 à un recueil collectif du même titre, paru aux PUF.
Ses responsabilités croissantes à Paris ne l'ont jamais empêché d'accepter des sollicitations, en particulier de la part des bachelardiens, qu'il a d'ailleurs rejoint au sein de leur association. Il a publié nombre d'ouvrages fondamentaux sur l'histoire et l'épistémologie des sciences biologiques et avait une notoriété internationale.
Tout au long de ces années nous avons été nombreux à apprécier ses qualités collégiales, marquées par le dévouement, la loyauté, le sens du service, mais aussi son sens de l'objectivité, de la mesure, de la justice, dans les jugements et les décisions. Souvent au bord de l'épuisement mais sans jamais perdre son calme et sa bonne humeur, il acceptait généreusement presque toutes les invitations, en apportant à chaque fois aux jurys, séminaires et colloques une information claire, précise, nuancée, loin des esprits de chapelles ou des facilités idéologiques. Grand travailleur, il aimait aussi impulser, encadrer, accompagner des projets, en sachant valoriser les qualités des personnes et respecter les exigences des institutions et leur logique. Un grand nombre de ses lecteurs et auditeurs ont toujours admiré sa capacité à prendre la juste distance avec les théories et les résultats, méfiant envers les dogmatismes mais sans jamais céder au scepticisme. Jean Gayon est un esprit libre, une figure de l'institution universitaire et un grand rationaliste tempéré français, ouvert au pluralisme et au cosmopolitisme. Son absence, notammentau sein des amis bachelardiens,sera une lourde perte philosophique.
Jean-Jacques Wunenburger